LE CHEMIN DE SAINTETÉ DE SAINTE RAPHAËLLE MARIE
Une religieuse sainte est, essentiellement, une femme accomplie en Christ. C’est-à-dire, une femme en qui les plus grandes qualités de la femme, sa manière d’être ont atteint leur pleine maturité à l’imitation du Christ et sous l’impulsion de l’Esprit Saint.
Partant de là, nous pouvons alors décrire ce qui distingue cette sainte femme ayant atteint la plénitude chrétienne en étant consacrée et fondatrice d’un nouvel Institut dans l’Église.
Un saint est un témoin exceptionnel de la transcendance de Dieu. La vie d’une religieuse, comme dit Paul VI, doit être pour l’Homme « témoin privilégié d’une quête sans cesse de Dieu, d’un amour unique et indivisible du Christ, d’un dévouement absolu au développement de Son Royaume » (Evangelica Testificatio,3). En tant que religieuse et sainte, Raphaëlle Marie Porras y Ayllón a donné ce témoignage. En tant que fondatrice, elle a également reçu la grâce de transmettre comment vivre de manière spéciale le christianisme que Dieu lui a inspiré. Le charisme qu’elle a reçu n’était pas seulement pour elle. Elle l’a également reçu pour nous. Pour les Ancelles, en premier lieu, mais aussi pour tous ceux qui se sentent liés à elles. Nous formons tous une grande famille autour de ce charisme et de cette spiritualité que Sainte Raphaëlle Marie a reçue pour la donner au Monde.
Sa vocation à la vie religieuse et la fondation de l’Institut sont une longue quête dans la foi. Le plan de Dieu lui est révélé peu à peu, par étapes, à doses humaines. Sa sœur et elle, qui à Pedro Abad (petit village à côté de Cordoue où elles sont nées) ont eu une vie de prière et de charité que nous qualifierons d’héroïque, commencent à marcher sur des chemins inconnus. Dieu se révèle comme le Seigneur, le maître de nos destins, qui a le droit de changer les plans que nous nous faisons. Dans ce chemin, qui finira par la mener à fonder un Institut, il n’y a d’autre lumière que la volonté de Dieu, Sa Parole.
A ce propos, il est important de dire que, pour Raphaëlle Marie, l’appel de Dieu n’a jamais été l’écho d’une voix mystérieuse, spectaculaire. C’est comme si, depuis le début de sa vie, par une compréhension profonde de l’Incarnation du Verbe, elle avait compris que la voix de Dieu s’exprimait au travers des hommes; que Dieu parle à travers des événements. Mais ce chœur de voix de la terre a besoin d’un interprète particulier, et Raphaëlle Marie, toujours humble, écoutera « l’interprète officiel », le seul interprète autorisé : l’Église.
Par des chemins inattendus, elle se retrouvera fondatrice des Ancelles du Sacré Cœur de Jésus. Elle a uniquement cherché Dieu, avec cette façon si spéciale, si féminine, qui consiste à se laisser chercher et trouver par Lui. Toute sa vie est écoute et accueil de la parole de Dieu ; dans une attitude de réponse inconditionnelle. Et Dieu l’a trouvée. Ils s’y sont retrouvés : elle, la pierre fondamentale de l’Institut et Lui, le savant constructeur. Le poste de fondatrice naturellement, ne lui plait pas. Elle l’accepte avec simplicité, comme elle a tout accepté de Dieu dans sa vie. Elle le vit pleinement et, quand l’heure arrive, elle l’abandonne en paix. Elle est la personnification de la servante qui, comme dit le psaume, « a les yeux tournés vers le Seigneur ». Elle est, sans comparaison ni métaphore, la servante. Elle est Le modèle d’Ancelle du Sacré Cœur.
« Témoin d’un amour unique et indivisible pour le Christ ». Tous les saints cherchent Dieu avec tout leur être, mais aucun d’eux n’est capable de découvrir, dans sa recherche, et moins encore dans sa rencontre, toute la richesse de Dieu. Dieu nous comble.
Raphaëlle Marie, comblée par Dieu, nous transmet à tous son expérience personnelle de Jésus Christ. Le Christ est pour elle Dieu qui a voulu s’incarner par amour, celui qui nous aime personnellement, de manière si immédiate et humaine, qu’il a du s’incarner dans le cœur d’un homme, Christ, pour que nous puissions toucher, d’une façon tangible un peu de Sa richesse. Dans les écrits de Sainte Raphaëlle Marie la mémoire de Jésus Christ, de son cœur, de son amour, du don de Lui même sont partout présents. Parfois, elle nous parle d’un ton officiel ou liturgique, comme quand elle nous dit que « tous les biens nous viennent par le Fils unique de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ ; que par ses mérites nous devons demander toute chose, et que notre salut et notre vie sont dans son imitation » ; « je dois travailler en Christ, par le Christ et pour le Christ ». A d’autres moments, d’un ton plus familier, comme quand elle dit que les hommes du monde entier sont « fils du cœur de notre bon Jésus, et Lui ont coûté tout Son sang… ». Ou encore, avec enthousiasme, comme quand, dans ses notes des Exercices Spirituels, elle dit qu’elle « sort disposée, animée et heureuse de pouvoir faire quelque chose pour son Capitaine Jésus » (EE 1890). Comme nous aimerions pouvoir parler de Jésus Christ avec tant de spontanéité et une si grande richesse de nuances.
Toutes ces expressions pourraient être simplement des mots vides de sens, si elles n’étaient pas confirmées par toute sa vie pour le Christ. Dans un de ses Exercices Spirituels, elle offrait de donner « la plus grande gloire qu’elle pouvait au Cœur de Jésus, même si cela voulait dire aller jusqu’à donner l’honneur et la vie » (EE 1890). Quand le moment est venu de donner son honneur, elle a assumé son propos. Ferme, tranquille, constante. A cette époque-là, au milieu des ténèbres de sa vie, elle a écrit ce qu’elle vivait vraiment : « qu’Il m’aime, même à en perdre la peau car les innombrables saints que renferme cette ville sainte et bénite l’ont perdue pour en jouir.» (Lettre à la Sr. M. del Carmen Aranda, 1892)
Raphaëlle Marie a fait de toute sa vie un acte permanent de confiance et de fidélité. Et sa vie nous enseigne que la première réponse que l’homme peut donner à l’amour c’est, précisément, croire en Lui. Comme nous écrit S. Jean : « nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru » (1Jn 4,16). Elle a eu une très profonde expérience du Cœur du Christ et elle est convaincue que lui rendre gloire c’est avant tout se donner soi-même pour le salut du monde. Et à cause de cela, son extraordinaire intérêt, sa passion pour les hommes, pour l’humanité. « Que se répande l’esprit de l’Institut : vrai amour du Christ dans l’Eucharistie, et l’intérêt qui consommait son Cœur pour le salut des hommes » (lettre au Cardinal de Saragosse, 1881). Son expérience intime, profonde, du Cœur du Christ, l’amène à l’Eucharistie et, en même temps, dans l’Eucharistie elle trouve la source d’une connaissance de plus en plus grande, d’une expérience intime de son Cœur. Elle veut modeler sa vie sur la vie du Christ, dit elle, et ajoute ensuite : « ou sur celle présente dans le Saint Sacrement ».
Le Christ est dans l’Eucharistie renouvelant continuellement le don de Lui-même pour le salut des hommes. Modeler sa vie sur celle du Christ dans l’Eucharistie c’est se mettre dans une attitude continuelle de don de soi-même et « non pour un nombre restreint, mais pour le monde entier » (lettre à la communauté de Cordoue, le 1884). Ce sont ses propres paroles : « susciter la préoccupation pour les âmes, brûler et m’embraser en prière pour qu’aucune âme ne se perde.» (EE 1896).
« Témoin d’un dévouement absolue à la croissance du Royaume », a dit le Pape Paul VI à propos de la vie religieuse. Raphaëlle Marie, aussi bien dans la première phase de sa vie, en pleine activité, que pendant les années de silence, nous enseigne à vivre uniquement pour le Royaume. Dans les notes des Exercices Spirituels de 1890, elle exprimait ses grands désirs de « faire tout pour que le Christ soit connu et aimé, comme elle pouvait ou sinon à travers des prières ».
« Lorsque je me verrai sans action physique pour étendre mon zèle, comme je le désire, je me contenterai de prier et de faire avec douceur ce qui m’incombe, comme me l’a enseigné mon Seigneur. »
Elle faisait référence à une situation qu’elle imaginait comme possible. Cette situation est devenue réalité. Quand, en 1892, elle est entrée dans son isolement, dans une vie cachée, Raphaëlle Marie a compris qu’arrivait l’heure de « prier et de faire avec douceur ce qui m’incombe » (EE 1890). Et elle l’a vécu pleinement ! Sans amertume, sans critiques. Aider tout le monde en tout a été sa façon de contribuer à l’extension du Royaume, dans l’activité apostolique de l’Institut.
Avec l’énorme générosité de son cœur, elle a su se réjouir de la vie, qui continuait, tandis qu’elle avançait dans un chemin d’oubli, de ténèbres. Elle n’a jamais eu de doute envers quiconque ni face à de nouvelles situations.
A un certain moment elle a dit : « Mon enthousiasme pour les choses ne s’éteint jamais tout comme le goût de voir que d’autres l’ont aussi ». (Lettre à la Sr. M. del Carmen Aranda, 1895). Dans une autre occasion elle commentait que ce qui est propre à la jeunesse c’est le désir de travailler beaucoup pour rendre gloire à Dieu ; et que voir une jeune religieuse, apathique ou avec moins d’enthousiasme provoquait stupeur et tristesse en elle. Jusqu’à peu de jours avant sa mort, elle parlait avec tendresse des nouvelles générations, de ces jeunes qui venaient continuer l’action apostolique qu’elle avait été obligée à abandonner, contrairement à son inclination et désir.
Raphaëlle Marie a été canonisée le 23 janvier 1977. Quand le Saint Siège a reconnu l’Institut, cela a été comme s’il nous disait, aux Ancelles, que celui-ci était un chemin de vie capable de nous mener à la sainteté. La canonisation de notre fondatrice est l’affirmation vécue, que, par ce chemin, effectivement, une personne est déjà arrivée à la sainteté. Une personne avec nos difficultés et fragilités faite de la même chair et du même sang que nous tous.
La canonisation de Raphaëlle Marie est pour nous un appel à vivre plus profondément notre vocation et à transmettre à tous ce que nous avons reçu par grâce. Elle nous enseigne à chercher Dieu, à le laisser nous mener à Lui, sachant qu’Il est fidèle. Elle nous invite à une plus grande expérience du Cœur du Christ, à relire notre foi au travers de l’amour, de cet amour de Dieu extrêmement humain, qui a fait qu’il se donne jusqu’à la mort et demeure constamment parmi nous. Comme Raphaëlle Marie, nous sommes tous invités à chercher cette présence dans l’Eucharistie, dans les hommes et les femmes et les évènements de tous les jours, et à recevoir, dans le mystère du Christ qui rend actuel sa mort et sa résurrection, et dans Sa gloire invisible pour nous, l’amour qui nous unit à nos frères et nous amène à chercher avec eux la venue du Royaume.
Imaculada Yañez, aci